JOT FAU

 

Perdre la face ou faire bonne figure, 2019 For her new installation "Perdre la face ou faire bonne figure", Jot Fau has designed two imposing coats that look at each other, installed on a quilted floor mat. This mat, made up of assembled blankets under a black fabric, rises slightly on the wall. The material seems to rebel and envelop the space. This installation gives off a feeling of security and insecurity. At any moment, anything can happen. The two coats, both armour and blanket, are ready to be worn. Their monumentality recalls the cloak of the Virgin of Mercy painted by Piero della Francesca (1445-1462). The Virgin stands in a hieratic position. Her arms in the form of a cross lift up the sides of her cloak, which is held open, protects the praying faithful. 
Inside the two pieces of work, Jot Fau has embroidered words: "la durée et l'intensité de la réparation" (the duration and intensity of the reparation) for one, "la persistance et la gravité du danger" (the persistence and gravity of danger) for the other. They are taken from the American sociologist Erving Goffman's book, The Rites of Interaction (1967). Words are an important component of her work. They often direct the gaze and thoughts, but they are not completely given at first sight. The coats are to be contemplated like landscapes whose details are revealed with each new contemplation.
The outcome of this tête-à-tête is uncertain, it may result in a fight or a reconciliation, but it must be played out in 20m3.

Perdre la face ou faire bonne figure

                                                                          Jot Fau

 

« La vie sociale est un théâtre, mais un théâtre particulièrement dangereux. »

Erving Goffman, Les rites d'interaction (1967)

 

Que sommes-nous capables de faire, d’être, ou encore de devenir ? Pour  répondre à ces questions, Jot Fau transforme sa personne à l'aide d'accessoires et de vêtements qu'elle nomme enveloppes.

Elle a ainsi commencé par confectionner des costumes à partir de rebuts de tissus qu'elle glane dans son environnement immédiat. Ces fripes, chargées d'histoires, sont ensuite déposées dans son atelier. Elle les côtoie tous les jours et, patiemment, ses doigts les scrutent et les relient avec du fil.

La série de photographies intitulée Métamorphoses, datée de 2010-2011, témoigne des prémices de ses recherches. À la manière des protagonistes chantés par Ovide, Jot Fau change de forme grâce au vêtement. Tour à tour, elle

est un arbre planté au milieu d'une ronde de résineux (Cercle d'ami I), un contenant d'où jaillit un bouquet de roses bleues (Cruche) ou une chaise solitaire (Miséricorde). Le vêtement est employé comme camouflage qui lui permet de faire corps avec l'environnement et de s'infiltrer là où l’on ne l'attendait pas.

À partir de 2011, Jot Fau conçoit des vêtements pour incarner des personnages, immortalisés par une caméra. En résultent des autoportraits fictionnels. Le premier est Veronica Ackerfeldt (4’58”), une trapéziste suédoise. Dans la vidéo, Veronica Ackerfeldt, vêtue d'un justaucorps blanc et bleu nuit, se farde les yeux devant un miroir au son d'une voix off. Cette voix, la sienne, témoigne de ses émotions et de sa vie déterminée par sa mère.

Puis, successivement, pendant un an, elle est chasseuse (The hunter project, 2012, 8’05”) puis chanteuse (The singers project, 2013, 9’47”). Pour incarner cette chasseuse, elle conçoit des « des prothèses de survie ». Cela comprend notamment des souliers en forme de sabots de cervidés et des vêtements-camouflages qui rappellent la flore et la faune des sous-bois qu'elle arpente. Les bruits de sa respiration, du vent, le chant des oiseaux et les brindilles qui craquent, constituent l'ambiance sonore. Lorsqu’elle se fait chanteuse, elle arbore des « costumes de scène » qu’elle a elle-même confectionnée, tout en donnant à entendre ses propres compositions. La chanteuse est son dernier portrait fictionnel. Jot Fau a en effet réussi sa métamorphose en faisant de la fiction une réalité. Il ne reste aujourd’hui que les mues de ces identités habitées.

Au même moment, en 2013, elle ressent le besoin de faire ses propres vêtements, ceux de Jot Fau. Depuis, elle n’a cessé de nourrir sa pratique de vêtements uniques confectionnés sur mesure.

Pour son exposition Les fragments qui nous constituent (2017), elle a conçu un large manteau de deux mètres environ, en laine et coton beige, parsemé de fil de couleurs pastel. Les coutures qui rapprochent et lient des formes élémentaires préalablement coupées sont similaires à des points de suture. Ce manteau, dont l'aspect évoque les nymphéas de Monet ou un tapis de mousse parsemé de fleurs, n’est pas destiné à être porté. Malgré tout, il est calibré pour son corps. Baptisée Arlequin, cette pièce fait référence au personnage de la comédie italienne qui accompagne ses créations depuis sa découverte en 2010 du livre de Michel Serres, Le tiers-instruit (1991). Michel Serres voit dans la figure de l'Arlequin, avec son habit fait de fragments de tissus de couleurs, de tailles et de provenances différentes, la métaphore du métissage. L'Arlequin ne fait pas partie d'une communauté, mais il est un peu de toutes les communautés. Ainsi, ce manteau pourrait être à la fois un hommage à l'Arlequin mais aussi une seconde

peau pour Jot Fau.

 

Pour sa nouvelle installation Perdre la face ou faire bonne figure, Jot Fau a conçu deux imposants manteaux qui se regardent, installés sur un tapis de sol matelassé. Ce tapis, constitué de couvertures assemblées et réunies sous un

tissu noir, remonte légèrement sur le mur. La matière semble se rebeller et envelopper l'espace. De cette installation se dégage une sensation de sécurité et d’insécurité. À tout moment, tout peut basculer. Les deux manteaux à la fois

armure et couverture, sont prêts à être enfilés. Leur monumentalité rappelle le manteau de la Vierge de la miséricorde peint par Piero della Francesca (1445-1462). La Vierge est debout, de face, dans une position hiératique. Ses bras en croix soulèvent les pans de son habit. Tenu ainsi ouvert, son manteau protège des fidèles en prière. À l'ntérieur de ses manteaux, Jot Fau a brodé des mots : «la durée et l'intensité de la réparation » pour l'un, « la persistance et la gravité du danger » pour l'autre. Ils sont extraits du livre du sociologue américain Erving Goffman, Les rites d'interaction (1967). Les mots sont une composante importante de son travail. Souvent, ils viennent diriger le regard et la pensée mais ils ne se donnent pas complètement dès le premier regard. Les manteaux sont à contempler comme des paysages dont les détails se révèlent à chaque nouvelle contemplation.

L'issue de ce tête à tête est incertaine, elle peut se solder par un combat ou une réconciliation, mais elle doit se jouer dans 20m3 et pourra se lire sur les visages.

 

Joris Thomas

 

Vernissage : samedi 16 mars 2019, 18h

Exposition ouverte sur rendez-vous : inbox.brussels@gmail.com

Adresse : 24 rue des Petits Carmes, 1000 Bruxelles